Marketing Tribal et Coup de Comm’ magistral

par | Publié le 23/09/2024 | Branding

Ou ça relevait du génie ou c’était du grand n’importe quoi. L’idée qu’Aya Nakamura puisse chanter du Piaf à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024 a fait couler plus d’encre que le palmarès de Léon Marchand. Aya Nakamura pour ceux qui ne savent pas – c’est 6 milliards d’écoutes sur les plateformes et plus de 4 milliards de vues sur Youtube. En 2018, elle s’est même classée en tête du hit-parade aux Pays Bas depuis… Edith Piaf en 1961 😉.

Bref, Aya c’est la médaille d’or de la chanson française, sur laquelle s’enjaille Rihanna.

Un choix pépite à priori. Mais apparemment, pas pour tout le monde. Et c’est sur ce clivage que les équipes de communication de la cérémonie d’ouverture des JO ont joué pour booster les audiences.

Retour sur un coup de comm’ magistral qui restera – très probablement – dans les annales.

Une bonne grosse polémique pour commencer

« Tu comprends pas mais tu chantes »

Il faut savoir qu’Aya Nakamura est à la fois l’artiste française la plus écoutée au monde et l’une des plus critiquée. Pourquoi ? Parce qu’elle ne chante pas en français. Enfin, c’est ce que disent ses détracteurs. Et ce que pensent apparemment 73% de ses compatriotes qui ont répondu par la négative à la question « Diriez-vous qu’Aya Nakamura représente bien la musique française? ».

Même nos politiques (qui n’ont manifestement rien d’autre à faire) se sont emparés du sujet. Sur les plateaux TV, certains représentants de la droite mais surtout de l’extrême droite s’engrainaient[i] à grands coups d’arguments fallacieux et borderline (vulgarité, violences conjugales, elle chante « on ne sait pas quoi »).

De grandes diatribes visant à démontrer que l’artiste n’est pas digne de représenter la Patrie à l’occasion d’un événement planétaire.

« Ça va grave quer-cra [ii]»

Il aura fallu les renforts des ayants droits de la « Môme » et l’intervention de linguistes émérites ou de membres de l’académie française (Jean-Marie Rouart en tête) pour notifier qu’Aya chantait bel et bien en Français. Pas probant pour la fachosphère, convainquant pour d’autres.

N’empêche, on a tous câblé[iii]. Dans les bars, les réunions familiales ou encore les soirées arrosées, le sujet était immanquablement abordé. Avec pour résultat celui de tous les débats polémiques : match nul et balle au centre.

« Je sens t’as l’seum, j’ai la boca[iv]»

Alors quand Aya a commencé son show, à l’extrémité du Pont des Arts en plumes et Or, je pense que plus d’un partisan du RN a avalé son béret.

Mais quand ils se sont rendu compte qu’elle rejoignait, d’un pas chaloupé, l’Académie Française (chargée de définir la langue française par l’élaboration de son dictionnaire) accompagnée par les musiciens de la Garde Républicaine, j’imagine qu’ils se sont bien étouffés.

Contrairement à ce qui avait fuité, ce n’est pas Piaf mais Aznavour qu’elle reprend. 3 phrases seulement de son titre « For Me Formidable » certes. Mais pas n’importe lesquelles.

Celles où Charles essaie de plaire dans la langue de Molière.

Résultat ? Un banger[v] !

« J’ai vu dans ça, depuis longtemps[vi] »

Un tableau bardé de symboles.
Je passe les tenues en Or de ses danseurs, trop obvious. Mais la robe en plumes dorées et les spartiates de la chanteuse en disent déjà long. Le reste du message est à peine voilé : le Pont des Arts, l’Académie Française, la Garde Nationale. Oui Aya est hors game. Oui elle parle français. Oui elle est française et pas qu’un peu !

La reprise du titre « For Me Formidable » d’Aznavour n’est pas une coïncidence. Tout comme l’extrait précis sur le vocabulaire et la langue de Molière. Un bon vieux soufflet au RN et à toutes personnes qui dénigrent sa personne et son art.

Même le choix d’Aznavour ne me semble pas anodin : c’est Piaf qui l’entraîne dans son sillage à la fin des années 40 et lui permet d’accéder à une renommée internationale…

« En catchana baby tu dead ça [vii]»

Je ne sais pas si c’était volontaire ni qui de Thomas Jolly, son équipe, ou Aya Nakamura a orchestré cette campagne hors norme.
Mais il faut bien l’admettre c’était de la grande horlogerie.

Un bad buzz pour commencer et amorcer la sauce. Laisser entendre qu’Aya pourrait chanter Piaf, ça allait forcément faire jazzer.
Et au-delà de la médiatisation, cette idée était clivante.

Comment une artiste si controversée pouvait s’attaquer à un monument de la chanson française ?

Avec cette fuite les équipes de communication de la cérémonie des JO savaient pertinemment qu’il y aurait le clan des pour et des contres. Et qu’ils allaient se bastonner copieusement.

La stratégie du marketing tribal

Dans notre jargon, c’est ce qu’on appelle le marketing de tribus ou encore marketing affinitaire.

L’idée est simple, au lieu de regrouper les individus par segment (âge, sexe, catégorie socio-professionnelle, etc), le marketing tribal vise à cibler ceux qui partagent la même passion, les mêmes valeurs ou les mêmes convictions.

Avec pour fil rouge l’idée que le lien importe plus que le bien. Cette notion d’appartenance entraine immanquablement un niveau de fidélité plus élevé des consomma(c)teurs qui considèrent que l’entreprise (au sens large) apporte une valeur de lien plutôt qu’une réponse à un besoin précis.

Quelles entreprises utilisent le marketing tribal ?

Principalement celles qui sont sur des niches (bio, made in France, senior, high ticket, etc.).

La plupart du temps ces entreprises vont être clivantes et appuyer leur discours commercial sur les points faibles de leur industrie.

Pour créer un clan.
Et si un consommateur adhère au clan, c’est gagné.

Par exemple, la marque Respire s’est longtemps positionnée comme une réponse naturelle et transparente à l’industrie cosmétique vue comme opaque et discutable.

Si vous souhaitez utiliser cette stratégie, vous devez comprendre ce qui touche vos prospects. Et cela suppose d’observer les individus et de comprendre leurs motivations, leur langage et leurs habitudes.

Comment fonctionne le marketing tribal ?

Vous l’aurez compris : l’avantage premier du marketing tribal est de créer un noyau dur autour d’une valeur commune et non autour de critères sociaux-démographiques (très utilisés dans le marketing actuel).

Et quand on y regarde de plus près, cette segmentation permet de s’adresser plus facilement à sa cible.

Pour preuve. J’ai rédigé un article sur les call to action avec pour exemple la vente d’un aspirateur autonome. Pour inciter les différentes cibles de clientèle à acheter mon produit, j’ai dû adapter mon discours à chacune d’elles.

Avec le marketing de tribus ce ne sera plus le cas. Mon discours va s’adresser à tous ceux qui partagent ma valeur forte.

Comment mettre en œuvre le marketing tribal ?

Pour identifier et analyser le comportement de vos cibles, rien de tel que les réseaux sociaux. Que ce soit sur Instagram, TikTok, YouTube, Facebook, X ou encore Linkedin, identifiez les mastodontes de votre secteur et allez jeter un œil aux commentaires et réactions qu’ils engrangent sous leurs posts.

C’est une mine d’information !
Facebook est également une mine d’or en la matière. Son outil permet d’identifier les centres d’intérêt d’une audience en quelques clics.

J’aime également lire les avis Google, Trustpilot ou encore les articles de presse et de blog qui concernent une marque en particulier. Là encore c’est une grande source d’information qui peut vous permettre de peaufiner votre positionnement et votre discours.

Vous l’aurez compris, si vous souhaitez faire du marketing de tribus, votre offre doit comporter une capacité à mettre en relation des individus autour d’un message fort. Et surfer sur cet outil d’adhésion hors norme afin de construire vos éléments de communication. Mais au préalable vous devez être capable de définir clairement votre ADN.
C’est ce qu’ont compris des marques comme Apple, Harley Davidson ou encore Adidas.

« Craches encore, y’a R[viii] »

Pour en revenir aux JO, l’objectif de l’équipe de communication n’était pas de vendre un produit mais de faire grimper les audiences.

Avec la polémique sur Aya Nakamura, c’était un double effet kisscool. Les pros et les cons se sont retrouvés devant leur écrans pour regarder (au choix) le désastre ou la performance.
Et la stratégie a été payante !

Alors que la cérémonie d’ouverture des JO comptait une moyenne de 23,2 millions de téléspectateurs en France, c’est son passage qui a provoqué un pic d’audience à plus de 31 millions.

Et ça, c’est vraiment for-me-dable. On se le remet ?

PS : je me suis amusée à égrainer dans cet article des expressions de la dame dont vous trouverez les explications ci-dessous.

[i] Se cherchaient des poux sur la tête

[ii] Ça va craquer fort.

[iii] On a tous pété un câble, on s’est rendu dingue.

[iv] Je sens que tu as la rage, je suis mieux que toi

[v] Un succès

[vi] J’avais remarqué depuis longtemps

[vii] Littéralement en argot « en levrette bébé tu déchires ». Sous-entendu : « tu gères, tu le fais trop bien »

[viii] Critique encore mais il n’y a rien à dire

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